rupture contrat de travail

Parmi les questions qui se posent à la gérante d’un institut lors d’un licenciement, celle de bien choisir le motif de licenciement revêt une importance particulière. En effet, la plupart des litiges tranchés aux Prud’hommes se fondent sur la contestation du motif de licenciement. Trois raisons expliquent l’avalanche des recours. Tout d’abord, la plupart des motifs de licenciement mettent en avant une faute de l’employée : or la notion de « faute » garde un contour juridique flou, si bien que les tribunaux sont amenés à juger au cas par cas. De plus s’ajoute le problème d’apporter la preuve de la faute. On comprend que le motif de licenciement offre une faille naturelle où s’engouffrent nombre de procédures contre l’employeur. Si les litiges se multiplient, c’est enfin en raison du montant conséquent des dommages-intérêts que peut demander l’employée : jusqu’à six mois de salaire, par exemple, pour un licenciement requalifié sans cause réelle et sérieuse après deux ans d’ancienneté… Un luxe que ne peut se payer la TPE qu’est l’institut, dans la plupart des cas, sauf à mettre la clé sous la porte. Or, les tribunaux ne tiennent pas compte de la réalité économique d’une entreprise au moment de prononcer une sanction. Quelle que soit la trésorerie, la gérante devra payer, même si cela entraine la faillite de l’institut. Face à cette menace, qui est bien réelle, il m’apparaissait important de tirer la sonnette d’alarme. Trop de gérantes, en effet, découvrent trop tard, lorsqu’une procédure à l’encontre de l’institut est lancée, l’étendue des conséquences potentielles. Beaucoup se trouvent aussi démunies face aux subtilités du Code du Travail, et accumulent innocemment les erreurs  au moment de licencier. Bien choisir le motif de licenciement permet de prévenir le risque d’un litige coûteux : cet article lance quelques pistes de réflexion, avec des exemples appliqués au secteur de l’esthétique.

L’obligation d’un motif

En France, aucun licenciement n’est autorisé sans motif. Parfois ce motif est prévu par le code du Travail : licenciement économique, abandon de poste, inaptitude professionnelle… Quand le motif est lié à une faute, la plupart du temps, celle-ci n’est pourtant pas explicitement prévue par la Loi : pour être valable, la seule prescription faite à l’employeur est que le motif de licenciement doit être « réel et sérieux« . Mais qu’est-ce qui se cache derrière ces mots ? Et que signifie concrètement « un motif de licenciement réel et sérieux » dans un institut de beauté ?

Un motif réel

Tout d’abord, le motif doit être réel, c’est à dire constitué de faits qu’on peut décrire et dater. Concernant les licenciements économiques, la récente Loi Travail est venue préciser les conditions précises qui peuvent justifier un licenciement. Mais s’il s’agit de licenciement à caractère disciplinaire ou d’insuffisance professionnelle, c’est à l’employeur de caractériser les faits à l’origine du licenciement. Tout d’abord ces faits doivent être « tangibles » et non hypothétiques, subjectifs ou vagues : ce sont par exemple des actes, des gestes ou des paroles reprochées à l’employée. Pas question, en revanche, de mettre en avant des doutes, des craintes ou des sentiments quelconques de la gérante ! Sont ainsi à proscrire dans une lettre de licenciement les phrases telles que : « j’ai perdu toute confiance en vous », « Depuis quelque temps, vous ne semblez plus motivée » ou « J’en suis venue à douter de votre engagement ». De même, « l’incompatibilité d’humeur » de la gérante avec une esthéticienne ne forme pas un motif de licenciement suffisant si l’institut continue de fonctionner normalement (même si l’ambiance s’est tendue ou que l’ardeur au travail s’est relâchée…). En revanche, des injures à l’encontre de la gérante, des propos dénigrant l’institut auprès de la clientèle, ainsi qu’une opposition systématique aux consignes de travail, peuvent justifier valablement un licenciement. Les fautes reprochées à l’employée peuvent aussi être réelles sans être volontaires (seule la faute lourde exige une intention de nuire à l’employeur). Il suffit que ces fautes empêchent le bon déroulement du contrat de travail et perturbent le fonctionnement de l’entreprise. Cependant, il convient de garder à l’esprit que la réalité du motif sera jugée in fine à l’aune des preuves que la gérante pourra fournir en cas de litige. De nombreuses raisons ont pu conduire à la décision de se séparer d’une employée. Mais bien choisir le motif de licenciement, c’est mettre en avant uniquement des faits précis qu’on pourra prouver.

Un motif sérieux

En plus d’être « réel », le motif doit être suffisamment grave pour justifier de se séparer de l’employée : c’est ce que recoupe l’idée de motif « sérieux ». L’origine de ce motif peut se trouver :

  • soit du côté de l’employeur, qui rencontre par exemple des difficultés économiques justifiant la suppression d’un poste;
  • soit du côté de l’employée, qui par exemple a commis une faute dans l’exécution de son contrat de travail, a été reconnue inapte par la Médecine du Travail, ou dont l’absence de longue durée perturbe le fonctionnement de l’entreprise.

Dans l’esprit du Code du Travail, l’idée de « motif sérieux » marque en réalité la limite au pouvoir disciplinaire de l’employeur : la gérante est libre de choisir la sanction à une faute commise, de l’avertissement simple au licenciement, mais engage en contrepartie sa responsabilité si le motif vient à être jugé insuffisant. En matière de licenciement, il n’existe qu’une exception à ce principe : la Rupture Conventionnelle, qui n’exige aucun autre motif que le désir commun à l’employeur et à l’employé de mettre fin au contrat de travail. C’est aussi le motif qui sécurise le plus la rupture d’un contrat de travail pour l’employeur, dans la mesure où les moyens de contestation ultérieurs sont limités.

Pas de motif nouveau après le licenciement

Peu importent les griefs de l’employeur. C’est la lettre de licenciement qui délimite le motif de manière définitive. En cas de procédure, aucun fait supplémentaire ne pourra ainsi être apporté par l’employeur pour justifier sa décision. Par exemple, inutile d’expliquer que vous avez licencié une esthéticienne parce qu’elle arrivait régulièrement en retard, si la lettre de licenciement est fondée sur le fait qu’elle a utilisé son portable en cabine pendant les soins… Même si cela était vrai par ailleurs ! Il incombe donc à l’employeur, non seulement de bien choisir le motif de licenciement, mais aussi de l’énoncer de manière claire et exhaustive dans la lettre de licenciement.

Les Motifs de licenciement interdits

Si le Code du Travail n’a pas dressé une liste de toutes les causes justifiant un licenciement, certains motifs sont tout de même proscrits explicitement par la Loi.

Discrimination

Tous les motifs fondés sur la discrimination de l’employée sont interdits. Ainsi, vous ne pourrez licencier une esthéticienne en raison de ses opinions politiques ou religieuses, parce qu’elle est enceinte (discrimination sur la santé) ou parce qu’elle a pris du poids (discrimination sur l’apparence physique). En revanche, les métiers de la beauté exigent une certaine présentation physique, d’autant plus que l’employée est au contact permanent du public. Cette particularité peut être mise en avant si le licenciement est fondé sur une hygiène défaillante ou une tenue particulièrement négligée, de manière à écarter le risque de discrimination.

Double sanction

Il est également interdit de licencier une employée pour un fait qui a déjà été sanctionné. Par exemple, un retard déjà sanctionné par un avertissement ne peut constituer un motif de licenciement. En revanche, le licenciement pourra être justifié par de nouveaux retards survenus après l’avertissement.

Faits anciens

Si l’employeur est libre de décider d’une sanction, il a l’obligation de le faire rapidement. Ainsi, il est interdit de licencier une employée pour un fait datant de plus de deux mois (sauf au cas où vous n’en aviez pas connaissance, mais évidemment il faudra le prouver). Il existe donc une sorte de « délai de prescription des fautes ».

Contrat de travail et Convention Collective

Il est également rappelé que sont proscrits les motifs sans rapport avec l’exécution du contrat de travail, qui doivent eux-mêmes respecter la Convention Collective. La gérante sera donc bien avisée, avant de rédiger une lettre de licenciement, de vérifier si les faits reprochés contreviennent bien aux dispositions contractuelles et conventionnelles. Par exemple, s’il n’est pas fait mention d’une blouse à porter (fournie par l’institut) dans le contrat de travail, il ne sera pas possible d’évoquer comme motif de licenciement l’absence systématique du port de cette tenue de travail qui ne s’impose pas à l’employée. Il ne sera pas davantage admis de se prévaloir d’un refus d’effectuer des heures supplémentaires pour licencier une employée à temps partiel, alors que son contrat de travail n’en prévoit pas. Enfin, un licenciement ne peut sanctionner le refus de l’employée de voir son  contrat de travail modifié : il serait requalifié sans cause réelle et sérieuse (ex : modification du lieu ou du temps de travail non prévue au contrat).

Absence de résultat

L’absence de résultat est un motif de licenciement qui ne concerne pas les métiers de l’esthétique. Ce motif ne peut s’appliquer, de manière très restreinte, qu’à des contrats de travail qui exigent un résultat précis et chiffré à atteindre, comme c’est le cas pour certaines professions commerciales par exemple.

La preuve du motif

En cas de procédure aux Prud’hommes, les juges examineront le motif pour décider si le licenciement était justifié. S’il s’agit d’un licenciement pour « cause réelle et sérieuse » (faute légère), gérante et employée se partageront la charge de la preuve : en cas de contestation du motif de licenciement, chacune devra faire valoir ses arguments. En revanche, s’il s’agit d’un licenciement pour faute grave ou lourde, la charge de prouver l’existence et la gravité de la faute incombe exclusivement à l’employeur. Une nuance à garder en tête pour bien choisir le motif de licenciement… En effet, prouver certaines fautes peut s’avérer délicat : il peut être moins risqué de procéder à un licenciement sur la base de faits moins graves, mais plus faciles à prouver, que ceux qui ont réellement motivé la décision de licencier. Prenons l’exemple d’une prothésiste ongulaire qui détourne des produits de l’institut pour exercer à domicile. Voici un fait grave, vous l’avez constaté, mais comment le prouver ? Si en plus la demoiselle indélicate arrive fréquemment en retard, désorganisant l’accueil de la clientèle, vous tenez là un motif réel,  sérieux, et facile à prouver.

Conserver des preuves

L’écueil à éviter par la gérante est de ne conserver aucune preuve matérielle des éléments qui ont justifié le licenciement : aux Prud’hommes, ce sera alors « parole contre parole » et dans ce cas, sachez-le, le doute profite en général à l’employée licenciée… Qu’entend-on par preuve ? Même s’il y a une plaidoirie orale aux Prud’hommes, les tribunaux jugent sur dossier. C’est donc une preuve en « papier » qu’il s’agit de fournir. C’est pourquoi il est important de garder toute trace écrite concernant des faits reprochés à l’employée : compte-rendus de réunion, échanges de mails ou textos, avertissements antérieurs pour des faits similaires, lettres de clientes, témoignages de fournisseurs… Ces écrits doivent en outre être datés et signés. En ce qui concerne les attestations établies par d’autres employées éventuelles, elles peuvent venir conforter vos dires, mais notez que les tribunaux les apprécient avec prudence, en raison du lien de subordination qui pourrait permettre à l’employeur d’obtenir des témoignages complaisants. Ces attestations seront donc en général jugées insuffisantes si elles ne sont pas étayées par d’autres preuves.

Sanctionner les fautes

La plupart du temps, dans un institut de beauté, ce n’est pas une cause unique qui déclenche la décision de licencier, mais une accumulation de faits dans le temps. La meilleure preuve d’un motif « réel et sérieux », dans ce cas, reste le fil des échanges que vous avez eus avec l’employée avant la procédure de licenciement. Seul problème : les gérantes prennent peu souvent la peine de formaliser des reproches par écrit. L’institut, l’onglerie ou le spa est une toute petite équipe : lorsque surviennent des problèmes de travail ou de comportement, on se dit les choses en face, soit à l’occasion d’une pause, ou à la fermeture, bref on les écrit rarement… C’est seulement au moment où s’enclenche une procédure, que la gérante démunie s’aperçoit qu’il ne reste aucune trace écrite des fautes qui ont émaillé les mois précédant le licenciement… Or, l’absence de sanctions à l’encontre d’une employée qui commet des fautes est toujours frappé de suspicion. En effet, l’employeur doit sanctionner les fautes. S’il ne le fait pas, les Tribunaux auront vite fait de conclure que ces fautes n’ont jamais existé, et que le licenciement n’était pas justifié… La gérante doit donc marquer chaque retard, chaque manquement, bref chaque incident par une lettre ou un avertissement remis en mains propres à l’employée (contre décharge).  S’il s’agit d’une esthéticienne ayant de l’ancienneté, ces courriers revêtiront une importance cruciale en cas de litige. En effet, comment justifier le licenciement d’une employée « modèle » ayant accompli son travail sans reproche durant de longues années ?

Les critères d’appréciation des juges

L’appréciation des juges va se fonder sur des critères généraux d’ordre juridique : Le motif est-il légal ou non ? Existe – t – il des preuves suffisantes d’une cause réelle et sérieuse de licenciement ? Mais les tribunaux mèneront aussi un débat sur le fond, c’est à dire en mettant le licenciement en perspective dans son contexte. En effet, un motif n’existe et ne prend tout son sens que dans un cadre de travail précis. D’ailleurs, un même fait peut être qualifié de faute grave ou de faute légère suivant le poste de travail occupé. Ainsi, des retards à répétition le matin n’auront que peu d’importance dans un bureau, mais peuvent désorganiser gravement l’institut de beauté si les rendez-vous arrivent alors que l’employée n’a pas ouvert le magasin…  Pour évaluer si tel motif justifie le licenciement, les juges vont donc se baser sur l’étude du contrat de travail mais aussi prendre en compte les obligations, usages et contraintes du secteur d’activité.

Les conditions contractuelles de travail

L’appréciation des tribunaux concernant le motif de licenciement s’effectue toujours en revenant aux mentions du contrat de travail : qualification, poste, lieu de travail, horaires, temps de repos, heures supplémentaires etc… Par exemple, une esthéticienne embauchée au niveau du CAP, sans expérience, ne pourra se voir reprocher des fautes qui concernent des prestations ne figurant pas au programme officiel de son diplôme. A contrario, le contrat de travail peut prévoir certaines obligations supplémentaires concernant l’organisation des tâches à l’institut et les conditions de travail. Ces exigences contractuelles, sous condition qu’elles soient licites, s’impose à l’employée (par exemple, émargement mensuel du planning, port et entretien d’une tenue de travail, signature des heures supplémentaires…). Le contrat de travail restant le cadre de référence en cas de litige, le non respect de ces consignes pourra justifier un motif réel et sérieux de licenciement.

Le secteur d’activité

Un motif de licenciement s’apprécie aussi en fonction d’un contexte, c’est à dire d’un secteur d’activité. Or le secteur de l’esthétique présente plusieurs spécificités :

  • d’une part, l’aspect artisanal du métier met en jeu des compétences techniques précises,
  • d’autre part, la réception du public en magasin exige le respect d’un protocole d’accueil commercial
  • enfin, la nature même d’une activité liée à la beauté et à l’apparence induit des contraintes de présentation pour les employées

Comme il est difficile aux juges Prudhommaux de connaître tous les métiers, c’est à l’employeur d’expliquer le contexte précis dans lequel est survenu un licenciement. N’hésitez donc pas à produire des attestations de fournisseurs, des protocoles de soins, des extraits de la Convention Collective, des supports de formation, voire des témoignages d’autres esthéticiennes appuyant vos affirmations concernant les pratiques courantes liées aux métiers de l’esthétique. Par exemple, vous licenciez une esthéticienne en raison de multiples plaintes de clientes sur la repousse inhabituelle de leurs poils quelques jours après l’épilation. En plus des lettres (signées et datées) des clientes et de lettres d’avertissement éventuelles à l’esthéticienne sur des faits similaires, il conviendra de montrer, programme à l’appui, que l’épilation fait partie des compétences à valider pour obtenir le CAP. De montrer également, attestations d’esthéticiennes à l’appui, que la repousse du poil au bout d’une semaine constatée sur plusieurs personnes témoigne d’une faute professionnelle (poil non arraché). En effet, si la croissance du poil n’a aucun secret pour vous, il n’en est pas de même avec les conseillers aux Prud’hommes qui devront pourtant juger la réalité du motif de licenciement…

Licencier reste un des actes de gestion les plus difficiles sur le plan technique, c’est pourquoi j’y consacrerai prochainement d’autres articles. Vous avez envie de réagir ? Vous souhaitez faire part d’un témoignage ? Merci de laisser un commentaire ci-dessous.

 

 

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