le limage et la santé
Doit-on s’inquiéter pour sa santé en faisant les ongles ? C’est en tout cas ce que laisse à penser un rapport alarmant de l’ANSES paru fin 2017, qui vise à mieux cerner les risques professionnels encourus par les prothésistes ongulaires. Notamment en cause, les produits utilisés pour les prestations. En effet, parmi les 700 composants répertoriés dans l’étude, ce ne sont pas moins de 60 d’entre eux qui ont été jugés dangereux, c’est à dire potentiellement cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction, sensibilisants ou perturbateurs endocriniens. Un diagnostic qui fait froid dans le dos… Doit-on se méfier des produits professionnels pour les ongles ? Quelles bonnes pratiques mettre en place en matière de prévention ? Suivez-moi dans cet article d’estheticienne.pro.

Des substances nocives bien identifiées

Les matières éventuellement dangereuses contenues dans la cosmétique de l’ongle sont bien connues des fabricants, mais leurs efforts en faveur de produits plus sains se sont davantage tournés, jusqu’à aujourd’hui, vers les produits grand public. Effet de la pression croissante des clientes et des associations de consommateurs, de plus en plus préoccupées par la composition des produits ?  Ces trois dernières années, on a ainsi vu émerger des vernis « 3 free » puis « 5 free » et même « 7 free », en référence aux composants toxiques éliminés des étiquettes. A quand, maintenant, des produits plus sains en cabine ? Hélas, les substances nocives dénoncées par le rapport de l’ANSES se retrouvent dans la plupart des gels, résines et faux ongles utilisés pour le façonnage, comme les (méth)acrylates et (meth)acryliques, le toluène et l’acétaldéhyde…

Peu de prévention

Autre sujet d’inquiétude : peu de professionnelles de l’ongle ont une réelle connaissance des risques liés à leur activité. Pas étonnant : voici un (non) sujet dont personne ne parle… Résultat : les potentiels méfaits pour la santé qui en résultent sont totalement sous évalués par les prothésistes. Combien d’entre elles pratiquent encore sans aucune protection, dans des locaux confinés ? Le marché de l’ongle est florissant et attire chaque année de nouvelles candidates à la profession, d’autant plus qu’il n’est nul besoin d’être titulaire d’un CAP esthétique pour exercer… Ainsi, de nombreuses stylistes se lancent sans autre bagage qu’une formation de distributeur au façonnage de l’ongle. Or, on comprend bien que les marques ont peu d’intérêt à pointer du doigt la potentielle dangerosité des produits… C’est pourquoi, sans faire spécialement mention au CAP esthétique comme pré-requis, l’ANSES préconise d’instituer un parcours de formation plus complet pour toutes celles qui veulent se lancer dans la cosmétique de l’ongle, comprenant notamment un module obligatoire consacré à l’information et à la prévention en matière de santé. Un sujet polémique, qui pourrait revenir prochainement sur la table…

Deux risques majeurs identifiés

L’étude de l’ANSES a identifié deux sujets majeurs de préoccupation concernant la santé des professionnelles de l’ongle :
– la contamination directe par des substances nocives contenues dans les produits,
– la pollution de l’atmosphère par les particules qui se dégagent au limage

En plus des nails bars spécialisés, les instituts, qui sont de plus en plus nombreux à proposer ces prestations, sont également concernés. Y compris, d’ailleurs, les esthéticiennes qui ne travaillent pas sur les ongles mais peuvent respirer des substances nocives présentes dans l’air, ou être au contact direct des produits à certaines occasions (nettoyage de l’institut etc). Car à l’instar de la cigarette, il est probable qu’une exposition « passive » quotidienne occasionne des risques… Quels sont-ils ?

Le risque cutané

Rappelons en préambule que la peau ne constitue en aucun cas une barrière imperméable à la pénétration d’actifs potentiellement dangereux. Pour s’en prémunir, une seule solution : porter des gants de travail pour effectuer toute prestation (il en existe de très fins, sans latex si besoin, et parfaitement adaptés à une utilisation quotidienne). Une contrainte minime au regard des conséquences parfois dramatiques que doivent affronter certaines professionnelles de l’ongle…
En effet, en plus des effets à long terme sur la santé, encore mal évalués faute de recul, le contact répété avec les produits finit parfois par déclencher des intolérances qui sont déjà très invalidantes. Ainsi, on voit des stylistes ongulaires, qui travaillent de la même façon depuis plusieurs années, être soudain victimes de rougeurs, plaques et démangeaisons spectaculaires, alors même qu’aucun changement de produit n’est intervenu. Or, il est beaucoup plus facile de prévenir des affections chroniques comme l’eczéma ou l’allergie, que de s’en débarrasser. Sur certaines personnes sensibilisées, celles-ci s’installent ainsi de façon irréversible, même en s’équipant de protections adéquates après coup. Une maladie du travail qui amène les médecins à prononcer des arrêts de travail, voire, dans certains cas extrêmes, une inaptitude définitive. C’est ainsi que certaines stylistes se trouvent tout simplement contraintes d’abandonner le métier, avec, à la clé, une reconversion douloureuse…

Le risque d’inhalation

Le second risque principal auquel sont confrontées les prothésistes ongulaires provient de l’inhalation quotidienne de matières nocives, dont certaines sont soupçonnées d’être cancérogènes par l’ANSES, laissant planer une menace à long terme. Les professionnelles sensibles aux émanations peuvent également être sujettes à des crises d’asthme ou des maux de tête. Ces phénomènes sont parfois provoqués par les dégagements gazeux de certains produits (colles, solvants, gels…); mais ils sont surtout liés à la poussière abondante qui accompagne inévitablement le limage ou le ponçage des ongles. Nous connaissons toutes l’environnement « neigeux » des postes de manucure – un dépôt qui est en fait constitué de débris très fins de capsules et de gel. Pas besoin d’être grand clerc pour deviner que cette poussière envahissante, qui enveloppe tables, lampes, étagères et produits, se dépose aussi dans les poumons… Sans surprise, ces particules très volatiles, qui peuvent rester longtemps en suspension dans l’atmosphère, ont été mesurées à des taux préoccupants par l’ANSES lors de son enquête. Certes, elles restent en quantité plus faible que ce que l’on peut observer dans certains environnement industriels. Mais peut-on comparer le niveau de protection des personnels dans ces usines ? Les employées y sont généralement caparaçonnés des pieds à la tête avec des combinaisons et masques de protection efficaces…

Vers une surveillance renforcée ?

Certes, en l’absence de recul suffisant, il est encore difficile d’évaluer précisément le risque sanitaire à long terme lié à l’utilisation de la cosmétique ongulaire. En effet, l’usage de ces produits, encore confidentiel il y a quelques années, est récent, et on ne peut que brandir le principe de précaution… C’est pourquoi, le rapport de l’ANSES préconise une surveillance médicale régulière de la profession dans le temps, au moyen d’autres enquêtes, et plaide pour que les fabricants mettent sur le marché des produits plus sains. Pour autant, des recommandations ont été émises à destination des professionnelles de l’ongle :
porter systématiquement un masque et des gants pour travailler,
équiper sa table de manucure d’un système d’aspiration qui va « absorber » les particules, les empêchant de se disperser dans l’atmosphère de l’institut

Apprendre à se protéger

Devons-nous attendre des lois ou des catastrophes sanitaires pour adopter des mesures préventives à l’institut ? En attendant la mise sur le marché de produits réputés plus sains, voici quelques conseils de bon sens lors de vos poses ou vos remplissages :
– éviter au maximum de laisser pots et flacons ouverts en travaillant,
– privilégier les bouchons vissés aux pompes non hermétiques,
– utiliser de préférence des gels exigeant peu ou pas de limage,
– choisir des marques limitant le nombre d’étapes, avec des protocoles plus courts
– être intransigeante sur l’entretien de votre environnement de travail, en faisant la chasse à la poussière à l’aide d’un aspirateur à main (éviter de « lever » la poussière avec un plumeau ou chiffon)
– installer un système de ventilation efficace dans votre local et penser à l’aérer le plus possible de manière à éviter tout confinement de l’atmosphère

Peu de professionnelles sont aujourd’hui équipées d’une table aspirante, ou à défaut, d’un appareil annexe. Pourtant, que vaut un aspirateur au regard d’un risque potentiel de cancer ?

Privilégier des produits safe

Si les prothésistes spécialisées sont tenues de travailler le gel ou la résine, elles peuvent toujours opter pour des marques affichant une politique de composants plus naturels – il en existe certaines sur le marché. Gageons d’ailleurs qu’après les vernis, certains fabricants tenteront prochainement de se différencier en éliminant les actifs les plus nocifs figurant sur les étiquettes des produits cabine. Le marché très concurrentiel de la cosmétique de l’ongle professionnelle pousse en effet sans cesse à l’innovation, et la recherche de produits sains correspond à une demande croissante de la société – y compris des clientes finales qui s’intéressent de plus en plus à ce qui leur est appliqué sur la peau en institut. Par ailleurs, inutile de préciser qu’il est conseillé aux professionnelles d’éviter les achats « à l’aveugle » sur internet et de se fournir auprès de marques sérieuses, revendiquant des produits conformes à la réglementation Européenne et déclarés au portail des produits cosmétiques – une garantie contre les composants de provenance douteuse. Quant aux esthéticiennes « généralistes », pour qui l’ongle est une prestation complémentaire, elles peuvent choisir de privilégier le vernis semi-permanent qui ne requiert pas (ou pratiquement pas) de limage et s’avère souvent plus rentable si on pratique irrégulièrement.

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