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Au mois de mars 2021, dix neuf départements entrent dans un nouveau confinement : tous les commerces non essentiels sont contraints de fermer. Pour la troisième fois en un an, l’esthétique est touché. La mesure deviendra nationale le trois avril suivant. Depuis, de nombreuses voix se font entendre parmi la profession pour dénoncer l’injustice de ces mesures. Pour les esthéticiennes, ce troisième arrêt d’activité en plein démarrage de la saison ne passe pas. Or, l’aide pour les commerces fermés, qui vient d’être annoncée par le gouvernement, pourrait alimenter le ras le bol d’une partie des professionnels. Pourquoi le fond de solidarité du mois ne suffira pas pour tout le monde ? Explications.

Fond de solidarité du mois de mars : de nouvelles règles

Depuis le début de la crise sanitaire, les règles de calcul et les conditions d’accès au fond de solidarité n’ont cessé d’évoluer. Ainsi, l’aide est-elle passée de 1500 euros par mois, lors du premier confinement, à un plafond allant jusqu’à 10 000 euros lors du second arrêt au mois de novembre. En décembre, le gouvernement annonce qu’en 2021, les aides aux entreprises seront désormais réservées aux secteurs les plus lourdement impactés (restaurants, culture, évènementiel…). Mais dès le mois de janvier, la reprise de la pandémie amène de nouvelles restrictions pour les commerces, contraints de fermer à dix huit heures. Le fond de solidarité est finalement maintenu durant deux mois pour toutes les petites entreprises qui déclarent une perte d’activité égale ou supérieure à 50%.

En mars 2021, les décisions se régionalisent. Ainsi, certains professionnels de l’esthétique sont contraints de fermer le week-end quand d’autres ne subissent qu’un couvre feu. Enfin, dans seize puis dix neuf départements, les moins chanceux sont de nouveau obligés de baisser le rideau dès le 20 mars, avant que la fermeture ne devienne nationale début avril.

Ce mille feuille de décisions qui tombent les unes après les autres confronte le gouvernement à un nouveau casse tête concernant le fond de solidarité. Il faudra d’ailleurs attendre le 10 avril pour qu’enfin, le décret concernant les aides du mois de mars soit signé. Pour y prétendre, les commerces fermés, totalement ou partiellement, doivent justifier d’une perte de 20 à 50 % de chiffre d’affaires. Ils recevront, selon les cas, 1500 à 10 000 euros de subventions pour combler leurs pertes.

Instituts fermés le 20 mars : le compte n’y est pas !

En présentant le fond de solidarité du mois de mars, le gouvernement explique en avoir assoupli les conditions d’accès pour inclure davantage d’entreprises. Ce qui est vrai : la baisse d’activité exigée pour recevoir l’aide gouvernementale n’est plus « que » de 20 %, contre 50 % en janvier et février 2021. Mais entre temps, les conditions d’exploitation ont changé pour dix neuf départements qui ont subi dix jours ouvrés de fermeture administrative totale, en plein démarrage de la saison. Un manque à gagner qui excède largement les 1500 euros auxquels la plupart auront droit.

Faisons un petit calcul pour bien comprendre la situation.

Le mois de mars compte vingt sept jours ouvrés. Dix jours fermés représentent donc 37 % du temps travaillé. En première approximation, on peut donc arrondir la baisse de recette en mars à 37%. Un montant suffisant pour recevoir le premier palier du fond de solidarité forfaitaire à 1500 euros, mais pas assez élevé pour prétendre à l’aide maximale jusqu’à 10 000 euros. Or, pour de nombreux établissements qui en sont à leur troisième fermeture administrative en un an, une aide forfaitaire de 1500 euros ne suffira pas à payer les factures.

Mieux vaut être petit

Prenons deux exemples :

  • Dans le premier cas, il s’agit d’un institut réalisant 10 000 euros de chiffre d’affaires en mars 2019 (année de référence pour le calcul des aides). En 2021, la baisse d’activité du même institut, fermé le 20 mars, représente 3700 euros (37% de son chiffre 2019). L’aide gouvernementale est de 1500 euros car la perte de recette est inférieure à 50%. La perte nette d’exploitation de l’institut après subvention de l’état s’élève donc à 2200 euros (3700-1500). Ce qui représente environ le salaire mensuel de la gérante, qui a pourtant travaillé trois semaines et n’a pas de revenu de substitution, contrairement aux salariés en chômage partiel (…).
  • Dans le second exemple, prenons maintenant un institut qui a fait 20 000 euros de recette en mars 2019. Sa perte d’exploitation pour 10 jours de fermeture est également de 37% de son chiffre de 2019 et représente donc 7400 euros. Le fond de solidarité à recevoir, qui est forfaitaire, s’élève toujours à 1500 euros. Par conséquent, pour cet institut, le manque à gagner après subvention de l’état est cette fois de 5900 euros ! Dans ce cas, il ne suffira pas que la gérante renonce à son salaire : les charges fixes seront parfois difficiles à honorer, même si les salaires des employées sont pris en charge par le chômage partiel.

Conclusion : en mars, « mieux vaut être petit » si vous exercez dans l’un des dix neuf départements touchés par la fermeture administrative. Plus précisément, seuls les professionnels de l’esthétique à la tête d’un petit institut avec une recette inférieure à 7500 euros hors taxes par mois pourront bien dormir la nuit…

En effet, dans ce cas, le fond de solidarité à 1500 euros couvrira entièrement la baisse de leur chiffre d’affaires. Pour toutes les autres, la règle est simple : comme vu dans les deux exemples précédents, plus l’institut est gros, plus la perte nette d’exploitation après subvention sera importante en mars 2021. Tout du moins si votre baisse d’activité sur dix jours n’atteint pas 50 % de votre volume d’affaires de mars 2019, ce qui est fort probable à raison de dix jours « seulement » d’inactivité. Or, les instituts qui atteignent ou dépassent un chiffre d’affaires mensuel de 7500 euros hors taxes sont aussi ceux qui ont le plus de chance d’avoir un loyer onéreux et des charges fixes d’exploitation élevées. Une véritable injustice !

Examinons maintenant ce qui se passe si les deux instituts cités en exemple ont en fait perdu 50 % de leur recette en mars 2021, par rapport à mars 2019.

  • Le premier institut recevra 50 % de son chiffre d’affaires 2019 (10 000 euros), soit 5000 euros.
  • Le second institut recevra 10 000 euros (50 % de 20 000 euros, son CA de 2019).

Qu’observe -t- on ? Dans les deux cas, les pertes sont comblées.

En fait, le plafond d’aide à 10 000 euros maximum sera suffisant pour couvrir les besoins de trésorerie de la plupart des petites entreprises de l’esthétique ayant perdu au moins 50 % d’activité, car les instituts dépassent rarement 20 000 euros de chiffre d’affaires mensuel. Cependant, il existe des cas particuliers.

Le drame des jeunes instituts en croissance

Tous nos calculs précédents reposent sur une hypothèse : que l’activité de l’institut ait déjà atteint son rythme de croisière en 2019, année de référence pour le calcul du fond de solidarité. Or, ce n’est pas la situation de certains établissements créés un à deux ans avant le début de la crise sanitaire. En phase de démarrage, le chiffre d’affaires d’une professionnelle de l’esthétique suit une courbe ascendante durant un à trois ans. Il est d’ailleurs courant qu’au cours de la première année, les recettes soient encore insuffisantes pour atteindre le seuil de rentabilité de l’entreprise.

Reprenons notre exemple précédent pour mieux comprendre le drame vécu par certains gérants. Imaginons que le premier institut cité faisait dix mille euros de recette en mars 2019, quelques mois après sa création. En 2021, ce même institut pouvait être sur une tendance de 15000 euros par mois en début de saison. Dans ce cas, et si on garde comme base 37% de baisse d’activité consécutive aux dix jours de fermeture, sa perte d’exploitation s’élève à 5550 euros en mars (37 % de 15000) par rapport au mois complet qu’il aurait fait « hors confinement ». Son chiffre d’affaires déclaré pour le mois de mars 2021 est donc de 9450 euros (toujours avec les mêmes hypothèses), un montant plus élevé qu’en 2019 ! Par conséquent, cet établissement n’aura droit à aucune aide !

Et que dire des professionnels qui se sont lancés en 2020 ? S’il s’agissait d’une première installation, ils n’auront qu’un chiffre de référence ridiculement bas à présenter pour obtenir des aides. Et pour ceux qui ont acheté un fond de commerce en 2020, la situation n’est pas plus enviable : ils ne peuvent en effet se prévaloir du chiffre d’affaires réalisé par l’institut en 2019, alors qu’ils n’en étaient pas encore propriétaires.  L’arrêt de toute activité est donc un manque à gagner terrible pour toutes ces jeunes structures en construction, qui sont aussi les plus fragiles et les plus endettées après avoir récemment investi l’an dernier. Mais qui représentent aussi la vitalité de la profession !

Conclusion : les limites du « quoi qu’il en coûte »

Un simple calcul montre qu’en mars, la plupart des instituts fermés n’auront droit qu’à 1500 euros d’aide pour dix jours ouvrés de fermeture – un montant qui ne comblera pas leur manque à gagner. D’autre part, il existe de nombreux cas particuliers qui n’entrent pas dans les critères d’attribution et cachent autant de drames personnels. Le « quoi qu’il en coûte » connait forcément des limites. Une seule certitude : plus le temps passe, et plus les fermetures administratives successives creusent davantage la trésorerie de nombreuses professionnelles de la beauté et du soin. C’est pourquoi, l’unique solution pour éviter des faillites en cascade ne réside pas dans les aides. Elle suppose la réouverture des instituts dès que possible, demandée unanimement à raison par toute la profession.

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