quel statut choisir ?

Commençons par dissiper une confusion courante. La micro entreprise n’est pas une forme juridique de société, mais un régime social et fiscal particulier offert aux petites entreprises individuelles (entreprises en nom propre, EIRL, EURL). Depuis son avènement en 2009, le statut a connu un grand succès dans le secteur de l’esthétique, notamment auprès de celles qui exercent à domicile. En effet, ce régime particulier offre plusieurs avantages : immatriculation simple et gratuite, dispense de tenir une comptabilité et de collecter la TVA, déclarations sociales simplifiées, prélèvement à taux fixe basé sur les recettes… Crée pour faciliter les démarrages d’activité, ce statut social et fiscal était jusqu’ici réservé aux toutes petites entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 33 200 euros. Dès que l’entreprise atteignait ce seuil, la réintégration au régime normal se faisait automatiquement. Avec le rehaussement du plafond de recettes à 70 000 euros en 2018, de nombreuses professionnelles de l’esthétique peuvent désormais envisager de rester auto entrepreneures au delà du cap du démarrage. Mais est-il vraiment intéressant d’exercer en micro entreprise ? De la création à la gestion quotidienne de votre activité, cet article passe au crible tous les critères à soupeser avant de faire votre choix.

Simplification au quotidien : avantage à la micro entreprise

Ce qui séduit les professionnelles de la beauté qui choisissent le régime de l’auto entrepreneur, c’est assurément la très grande simplicité de fonctionnement de la micro entreprise :

  • Pas de comptabilité à tenir
  • Pas de formalités à accomplir chaque année auprès du Greffe du Tribunal de Commerce
  • Un interlocuteur unique pour déclarer et payer toutes les cotisations, les taxes et même l’impôt sur le revenu

En fait, l’esthéticienne en micro entreprise ne remplit qu’une seule obligation : déclarer son chiffre d’affaires en ligne, au mois ou au trimestre. En comparaison, le régime réel implique de multiples contraintes comptables, fiscales, juridiques et sociales. En outre, pour les satisfaire, la gérante doit communiquer avec plusieurs interlocuteurs :

  • l’URSSAF, qui recouvre les cotisations sociales (le RSI ayant disparu)
  • le Trésor Public, qui exige des déclarations mensuelles de TVA et une présentation annuelle des comptes (bilan et compte de résultat)
  • le Greffe du Tribunal de Commerce, qui attend de recevoir chaque année la publication des assemblées et les résultats de l’entreprise

La micro entreprise dispense de toutes ces démarches, avec à la clé une substantielle économie en temps, en paperasse, en énervement, sans compter les honoraires comptables qui représentent un débours d’environ 1500 euros hors taxes par an pour un « petit » dossier (avec 300 à 500 euros en supplément, rien que pour sous-traiter la rédaction et l’expédition des documents juridiques annuels à destination du Greffe).

A retenir : si vous exercez en micro entreprise, votre seule obligation est de tenir à jour un livre des recettes journalières et un registre des achats auprès des fournisseurs (en gardant les factures justificatives).

Obligation d’utiliser un logiciel d’encaissement : pas d’incidence

A compter de 2018, il est devenu obligatoire pour tous les commerçants de s’équiper d’une solution d’encaissement normalisée sur support informatique. Cette obligation concerne toutes les esthéticiennes indépendantes, y compris les itinérantes à domicile, à l’exception de celles qui ne sont pas assujetties à la TVA. C’est donc désormais le chiffre d’affaires, et non le régime social et fiscal, qui détermine si on doit ou non s’équiper d’un logiciel de caisse normalisé : à partir d’une recette annuelle de 35 200 euros, toutes les professionnelles de l’esthétique ont l’obligation de s’équiper d’un logiciel d’encaissement, y compris celles qui exercent en micro entreprise.

A retenir : seuls les « petits » micro-entrepreneurs bénéficient d’un régime d’exception. Une économie qui les aide à démarrer, donc, sachant qu’une solution d’encaissement a un coût minimum d’environ 29 euros par mois.

Bon à savoir : pour une immatriculation en cours d’année, le seuil de 35 200 euros est recalculé au prorata du temps réel d’exploitation. Ainsi, si votre micro entreprise démarre le 1 juillet, votre année ne comporte que 6 mois, et le seuil de recette à ne pas dépasser est de 17 600 euros (35 200/2).

Déduction de charges : situation à étudier

La simplicité administrative a une contrepartie. En supprimant toute comptabilité, on supprime aussi la possibilité, pour la micro entreprise, de déduire ses charges d’exploitation :

  • charges courantes de fonctionnement (loyer, charges, eau, EDF, etc.)
  • achats de petit matériel et de fournitures
  • achats de produits cabine / revente
  • frais de déplacements

Ainsi, une esthéticienne en micro entrepreneur est assujettie aux cotisations sociales sur l’ensemble de sa recette dès le premier euro, et non sur la part qui lui revient en réalité une fois ses charges déduites.

Prenons une esthéticienne à domicile qui effectue en moyenne 50 kilomètres par jour, soit environ 1100 kilomètres par mois (sur 22 jours de travail), et dont la recette est de 3000 euros par mois (dont 500 euros de TVA collectée si elle est au réel). Faisons l’hypothèse qu’elle dépense environ 300 euros par mois en fournitures et produits pour travailler (soit 10 % de son chiffre d’affaires).

Cas N°1 : esthéticienne itinérante au régime réel, en entreprise individuelle ou EURL

Chaque mois, l’entreprise verse 550 euros (environ 0.55 €/km) à l’esthéticienne au titre de ses frais de déplacements. Cette somme l’aide à supporter le coût de son véhicule (essence, entretien, renouvellement etc.). Mais ce n’est pas tout. L’esthéticienne peut également se faire rembourser par la société :

  • ses frais de repas pris à l’extérieur (hypothèse : 55.80 euros par mois, maximum 18.60 € par repas)
  • ses tickets de péage et stationnement (hypothèse 35 euros par mois)

L’ensemble de ses frais mensuels s’élèvent à : 300 (fournitures) + 550 (véhicule) + 55.80 (repas) + 35 (péage/parking), soit 940.80 euros par mois (dont environ 60 euros de TVA récupérable). Le montant disponible pour la rémunération de l’esthéticienne se calcule sur sa recette hors taxe qui est de 2500 euros. A la fin du mois, les comptes de trésorerie s’établissent ainsi :

  • 440 euros nets de TVA, à verser au Trésor Public (500-60),
  • 390.80 euros de dépenses décaissées (dont 300 euros de fournitures, 55.80 de repas et 35 de péage/parking),
  • 550 euros de frais kilométriques, à reverser à la gérante

Soit un montant total à décaisser de 1380.80 euros. Il reste donc 1619.20 euros disponibles pour rémunérer la gérante, qui se décomposeront ainsi :

  • 1117 euros à titre de rémunération pour la gérante,
  • 502.51 euros de cotisations sociales (45 % de la rémunération nette environ).

La gérante reçoit donc à titre personnel : 1117 euros (rémunération) + 550 euros (indemnités kilométriques ) + 55.80 (frais de repas) + 35 (péage/parking) soit 1757.80 euros par mois.

Cas N°2 : même esthéticienne itinérante en micro entreprise 

En micro entreprise, le calcul est plus simple : l’esthéticienne règle chaque mois 22.78% de cotisations obligatoires sur sa recette, quels que soient ses frais qui ne sont pas pris en compte. Dans l’exemple précédent, ces charges s’élèvent donc à 683.40 euros (3000 * 0.2278). Les frais mensuels de l’esthéticienne sont les mêmes (940.80 euros). Sa rémunération nette de frais est donc de 1375.80 euros (3000-683.40-940.80). La gérante reçoit chaque mois 2316,60 (940,80 + 1375.80).

Conclusion : dans ce cas précis, l’avantage est clairement au régime de la micro entreprise qui permet de percevoir mensuellement 558.80 euros de plus. Cependant, le résultat de notre calcul pourrait être différent si la même esthéticienne avait un niveau de frais plus important, par exemple parce qu’elle s’installe (local, frais de fonctionnement). Mais aussi si elle doit reverser la TVA.

Cas N°3 : esthéticienne à son compte réalisant un chiffre d’affaires annuel de 50 400 euros hors taxes

Reprenons notre calcul pour une esthéticienne qui travaille seule dans son institut et réalise un chiffre d’affaire annuel de 60 480 euros (soit 50 400 hors TVA si elle exerce au réel). Ramenée au mois, sa recette sera de 5040 euros (soit 4200 euros hors taxes si elle est au réel). Ses charges se décomposent ainsi : 800 euros de loyer, 350 euros de frais de fonctionnement (eau, électricité, téléphone etc.), 450 euros de fournitures esthétiques. Soit 1600 euros HT en tout (1920 TTC). Son chiffre annuel dépassant 35 200 euros, elle doit collecter et reverser la TVA en cours d’année dès le mois suivant le dépassement si elle est en micro entreprise. Comme dans la pratique, elle ne pourra pas augmenter d’un seul coup ses tarifs aux clientes de 20%, elle devra très probablement « absorber » la TVA collectée sur sa marge – ce qui revient en fait à perdre 20 % de marge…

Au régime réel, la rémunération de l’esthéticienne sera de 1793 euros, soit (4200-1600)/1,45. Ses cotisations sociales s’élèveront dans ce cas à 807 euros. En micro entreprise, le prélèvement social sera de 956.76 (soit 4200 x 0.2278) et la rémunération nette de 1643 euros. Dans ce cas, il est plus intéressant pour l’esthéticienne d’être au régime réel, où elle bénéficie de 150 euros de rémunération nette supplémentaire.

Bon à savoir : l’auto entrepreneur n’est réintégré au régime réel qu’après avoir franchi à deux reprises le seuil de 70 000 euros de recette (contre 1 an auparavant).

Investissement : la micro entreprise pénalisée

La micro entreprise est clairement défavorisée en matière d’investissement. En effet, étant dispensé de collecter la TVA, le micro entrepreneur ne récupère pas non plus la TVA sur ses factures d’achats. Lorsqu’on raisonne en recettes et dépenses quotidiennes, ce système apporte plutôt des avantages : en général, la TVA collectée (sur les recettes) est supérieure à la TVA qui est récupérable (sur les dépenses), et il y a de la TVA à payer à la fin du mois. L’esthéticienne en micro entreprise, qui est dispensée de gérer la TVA, est donc gagnante. Cependant, pour la professionnelle qui s’installe et réalise des investissements, la TVA récupérable sur les achats peut être conséquente. En effet, lorsque s’ajoute le coût d’aménagement d’un local avec travaux, mobilier, décoration etc, l’achat de matériel professionnel, et le financement d’un stock de produits revente, la facture globale va représenter en moyenne de 40 000 à 100 000 euros. Prenons un exemple. Pour une enveloppe budgétaire d’installation s’élevant à 60 000 euros, l’esthéticienne ayant opté pour le régime micro entrepreneur va perdre pas moins de 10 000 euros de TVA à récupérer (…). Si on reprend le cas N°3 vu au paragraphe précédent, où la TVA à payer mensuellement représentait 520 euros (soit 840-320), cela signifie que l’esthéticienne qui a opté pour le régime réel n’aura dans les faits aucune TVA collectée à rendre avant un an et demi (soit : 10 000/520= 19 mois de franchise de TVA)… Par conséquent, opter pour le régime réel, dans ce cas, permet de garder 520 euros en plus tous les mois dans la trésorerie de l’institut, qui pourront être utilisés en rémunération supplémentaire par l’esthéticienne : soit 359 euros nets, qui s’ajoutent aux 150 euros déjà cités. En tout, ce sont donc 509 euros nets que l’esthéticienne au régime réel percevra en plus par rapport à celle qui a opté pour la micro entreprise !! On comprend pourquoi, dans la pratique, seules les esthéticiennes ayant un faible investissement de départ (notamment les praticiennes à domicile, sans local ni équipement coûteux) optent pour la micro entreprise…

A retenir : avant d’opter pour le régime micro entreprise, évaluez précisément votre investissement initial, votre chiffre d’affaires mensuel prévisible, et faites le calcul de la TVA à récupérer que vous allez perdre. Même si vous dépassez le seuil de chiffre d’affaires de 35 200 euros, l’assujettissement à la TVA n’est pas rétro actif : vous ne pourrez donc récupérer la TVA que sur les dépenses engagées à compter du premier mois après dépassement du seuil…

Embauche d’une salariée : impossible en micro entreprise

Même s’il n’est pas interdit, en théorie, d’employer une salariée en micro entreprise, la taxation directe de 22,78 % sur le chiffre d’affaires, sans possibilité de déduire les charges, rend impossible, dans les faits, de supporter le coût d’une employée. C’est pourquoi, dans le secteur de l’esthétique, le régime micro entreprise intéresse surtout les esthéticiennes et prothésistes ongulaires qui exercent seule : professionnelles à domicile, sous-traitantes esthétiques en salons de coiffure, salles de sport ou instituts, socio-esthéticiennes etc.

Responsabilité sur les dettes : plus d’incidence

Lorsque nait l’auto entrepreneur en 2009, il n’est pas possible d’exercer en société : ce nouveau statut allégé est réservé aux petites entreprises individuelles. Par définition, sont donc exclues les EURL, les SARL, ainsi que les SAS. Or, s’immatriculer en entreprise individuelle comporte des risques pour l’esthéticienne qui se lance : ne disposant d’aucun capital, l’entreprise individuelle ne permet pas de dissocier le patrimoine de l’entreprise et le patrimoine personnel de la dirigeante. Si les contraintes de gestion sont réduites au strict minimum, l’esthéticienne, en contrepartie, est responsable de toutes les dettes liées à l’activité. En cas d’échec, les conséquences peuvent être désastreuses. Pour éponger d’éventuelles dettes, les créanciers pourront en effet demander une saisie sur les biens personnels de l’esthéticienne ! Sachant qu’une création de société sur deux se solde à terme par une faillite dans le secteur de la beauté, ce risque est à prendre très au sérieux. Heureusement, depuis 2016, le statut de la micro entreprise s’est ouvert aux EIRL et EURL (statut juridique identique à la SARL mais avec un seul associé gérant).  Il est donc désormais possible de cumuler micro entreprise et responsabilité limitée. Un choix à faire à l’immatriculation (ou, au maximum, dans les 3 mois qui suivent).

A retenir : Si vous créez une entreprise individuelle (EI), il est vivement conseillé d’opter pour un régime d’EIRL qui vous permet de séparer votre patrimoine personnel de celui de l’entreprise.

Aide fiscale : avantage à la création d’une société

S’immatriculer en entreprise individuelle prive de l’aide fiscale liée à la prise de participation au capital d’une nouvelle PME. Or, cet avantage est très intéressant : il permet à toute personne qui investit dans une petite entreprise en création de bénéficier d’une réduction d’impôt représentant 25 % de son apport. Une ristourne d’impôt dont peut profiter non seulement la dirigeante, mais aussi l’entourage proche qui l’aide à s’installer. Par exemple, si vous investissez 5000 euros dans le démarrage de votre activité, la réduction d’impôt imputable à votre foyer fiscal sera de 1250 euros. Quant à vos parents, qui ont investi 20 000 euros, leur impôt s’allègera de 2500 euros. Un montage non compatible avec la micro entreprise.

A retenir : en montant une SARL familiale, vous récupérez 25% du montant de votre investissement sous forme de réduction d’impôt. Plus votre investissement est élevé, plus l’effet de la réduction fiscale (qui peut s’étaler sur plusieurs année) est conséquent, plus l’immatriculation en société est avantageuse.

Coût d’une création : avantage à la micro entreprise

Pour inciter les entrepreneurs à se lancer, l’immatriculation est gratuite pour les micro entreprises – ou presque, si on excepte les 60 € pris par le CFE pour vérifier le dossier. Quelle économie cela représente t-il ? Une esthéticienne ou une prothésiste ongulaire qui choisit d’exercer en société (EURL) supportera des coûts suivants :

  • annonce légale obligatoire dans un journal spécialisé (environ 150 € )
  • frais d’enregistrement prélevés par la Chambre des Métiers et le Greffe du Tribunal de commerce (environ 300 €)

Soit une facture de 450 euros environ, à laquelle il convient de rajouter, selon les cas, le coût de rédaction des statuts par un avocat ou un expert comptable (autour de 500 €, non obligatoire). Au total, un micro entrepreneur peut donc économiser jusqu’à 1000 euros lors des formalités de création d’activité.

Stage à la création d’entreprise : pas d’incidence

Le stage à la création d’entreprise n’est plus obligatoire pour les esthéticiennes qui se lancent.

Pas de charges sociales minimum en micro entreprise

Au démarrage d’une activité, les perspectives de revenus peuvent être faibles. Pour une esthéticienne en micro entreprise, pas de surprise : les prélèvements obligatoires sont calculés uniquement sur le chiffre d’affaires réalisé. Un mode de calcul « au réel » qui rassure. En revanche, une gérante d’institut en EURL (ou SARL), enregistrée comme travailleur non salarié (régime « TNS »), doit obligatoirement cotiser à la Sécurité Sociale des Indépendants (Ex RSI) dès la première année, même en l’absence de revenus. Cependant, si vos revenus sont faibles ou inexistants, vous disposez de solutions :

  • demander un report de paiement au delà des 12 premiers mois
  • solliciter un recalcul de vos charges sur la base de vos revenus estimés

La cotisation minimum sera tout de même d’environ 1042 euros par an (+ 103 euros au titre de la formation professionnelle). En contrepartie, l’esthéticienne au régime réel cumule des trimestres de retraite et bénéficie d’une protection sociale. En micro entreprise, si votre chiffre d’affaires n’est pas suffisant, vous ne bénéficiez ni d’indemnités journalières, ni de trimestres de retraite et votre congé maternité sera réduit au minimum.

Conclusion

Réel ou micro entreprise, pour quel régime opter ? Vous l’aurez compris, il n’existe pas de réponse simple à cette question. Si le régime micro entreprise est assurément le plus simple à gérer, il n’est pas obligatoirement le plus profitable suivant les cas, notamment en cas d’investissement, et ne permet pas, dans les faits, d’embaucher une employée. Si le rehaussement des seuils de chiffre d’affaires jusqu’à 70 000 euros ouvre plus largement ce statut aux instituts en démarrage, il appartient donc à chaque esthéticienne qui porte un projet d’effectuer des simulations, avec l’aide d’un expert comptable, pour évaluer quel statut, micro entreprise ou réel, est le plus avantageux pour elle.

 


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