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Qu’est-ce qu’être esthéticienne aujourd’hui ? Concurrencée par des professionnelles sans diplômes d’état, attaquée par des médecins qui lui contestent l’accès aux nouvelles technologies, la profession doit urgemment redéfinir son périmètre d’activité.

Pour Martine Bérenguel, l’obtention d’un nouveau cadre réglementaire doit s’appuyer sur la qualification des esthéticiennes. A l’avant-poste de la formation professionnelle, l’infatigable Co-Présidente de la CNAIB SPA nous explique les grands changements en cours dans le secteur esthétique. L’occasion de dresser un bilan et de poser les enjeux auxquels est confrontée la profession.

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Comment la CNAIB SPA intervient-elle dans la formation professionnelle ?

Dans notre profession, l’offre de formation doit constamment s’adapter pour répondre aux besoins du marché. C’est l’une des missions principales de la CNAIB SPA, qui intervient à toutes les étapes. La remontée des besoins du terrain vers les pouvoirs publics, tout d’abord. Nous éditons un rapport de branche qui fait le point sur les chiffres de la formation et les compétences à développer. La rénovation des diplômes d’état (CAP, BP, BM…), à laquelle nous participons dans les commissions ministérielles. La formation technique, en siégeant dans les organismes de financement de la formation professionnelle comme le FAFCEA. Enfin, et c’est très important, nous gérons directement les formations de spécialisation à travers les CQP (*), de leur élaboration à l’organisation des examens de passage.

(*) certificats de qualification professionnelle

Quels grands changements la réforme de la formation professionnelle a-t-elle apportés dans le secteur esthétique ?

La réforme a commencé par la création du CPF en 2015 : toutes les esthéticiennes, qu’elles soient salariées ou indépendantes, disposent désormais d’un compte formation crédité de cinq cents euros par an, pour financer une formation de leur choix débouchant sur un diplôme d’état, une certification ou un titre, inscrits au RNCP.

Le second changement a concerné les organismes de financement. Dans la filière esthétique, trois opérateurs se partagent maintenant cette mission. L’OPCO-EP (ex OPCA) gère la formation des salariés de l’esthétique. Le FAFCEA a conservé son rôle dans la formation des indépendants (y compris les auto entrepreneurs), sur les formations courtes et techniques. France Compétence, enfin, a été créé pour s’occuper des formations éligibles au CPF et réguler le système de la formation professionnelle et de l’apprentissage.

Le troisième changement a trait à la collecte des fonds, qui va être centralisée par l’URSSAF à partir de 2022. C’était une simplification attendue. Toutes les entreprises paieront maintenant leurs contributions à la formation professionnelle avec les cotisations sociales.

Enfin, le quatrième changement est d’imposer un référentiel de qualité commun aux centres de formation à partir de 2022. Ainsi est née la certification Qualiopi, qui devient obligatoire à compter de ce mois de janvier pour toutes les formations éligibles au CPF ou financées par l’OPCO-EP, Pôle Emploi, l’Agefiph etc. Seul le FAFCEA n’exige pas des centres de formations qu’ils soient certifiés Qualiopi.

L’arrivée de Qualiopi risque-t-elle de provoquer des difficultés pour accéder à certaines formations en 2022 ?

La transition devrait s’effectuer sans créer de pénurie. La plupart des organismes de formation ont déjà obtenu leur label Qualiopi. Ceux qui ont commencé leurs démarches de certification avant le 31 décembre 2021 disposent en outre d’un délai de grâce jusqu’en mars 2022 suite à un décret paru le 28 décembre. Et qu’on se rassure : toutes les formations de janvier et février dont les dossiers sont passés en fin d’année 2021 seront bien financées.

Notre unique sujet d’inquiétude est la formation Hygiène et salubrité. Débordé par le Covid, le Ministère de la Santé n’a pas renouvelé la certification en fin d’année. Par conséquent, cette formation n’est plus finançable par le CPF ! Afin de débloquer la situation, la CNAIB SPA vient d’envoyer un courrier au Ministre Olivier Véran, afin de demander un traitement accéléré en deux mois. Nous attendons la réponse.

Quels sont les grands chantiers de la formation pour le secteur esthétique ?

A côté de la réforme générale de la formation professionnelle, plusieurs évolutions spécifiques à l’esthétique sont en cours.

Une des priorités de la CNAIB SPA est la modernisation des diplômes et des certifications. Après avoir réformé le BP il y a deux ans, nous terminons la redéfinition du brevet de maîtrise, qui devrait bientôt aboutir avec le BM3.

Du côté des spécialisations, deux nouveaux CQP esthétiques seront prochainement annoncés.

Nous avons également travaillé à l’élaboration d’un certificat obligatoire pour pratiquer la dépilation, réservé aux esthéticiennes. Sa sortie devrait suivre le décret encadrant la pratique de la lumière pulsée au printemps. Pour la profession, c’est une première étape… Notre objectif est maintenant d’obtenir une certification esthétique qui concernera les nouvelles technologies.

Justement, l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation européenne sur les appareils esthétiques inquiète… Ne va-t-on pas évincer les esthéticiennes des nouvelles technologies au prétexte qu’elles n’ont pas le niveau de formation adéquat ?

Soyons clair : le marché de la minceur et de l’anti-âge constitue un très gros enjeu financier, et nous devons rester vigilantes face aux médecins esthétiques qui aimeraient s’en arroger le monopole ! C’est pourquoi une clarification légale s’impose : comment définit-on notre métier aujourd’hui ? L’absence d’un cadre réglementaire en rapport avec la pratique actuelle du métier nous rend vulnérables. D’un côté, nous sommes à la merci d’attaques pour pratique illégale de la médecine sur un nombre croissant de prestations pour lesquelles nous estimons être légitimes. D’un autre côté, nous déplorons l’installation de pseudo professionnelles qui pratiquent l’esthétique sans diplôme ni qualification.

En plus d’abimer l’image du métier, il y a là un véritable enjeu de santé publique pour le consommateur final. On l’a encore vu récemment avec ces instagrammeuses qui proposent des injections d’acide Hyaluronique dans des appartements en se faisant passer pour des esthéticiennes. De qui se moque-t-on ?!

L’objectif de la CNAIB, en 2022, est d’obtenir une redéfinition juridique qui protège mieux notre métier. Nous venons aussi de faire des propositions concrètes et officielles pour faire évoluer la formation sur les nouvelles technologies à travers un certificat obligatoire et réservé aux esthéticiennes diplômées d’état. 

L’évolution de la formation constitue-t-elle pour vous la clé de cette nouvelle définition du métier ?

Bien entendu ! Nous ne pouvons pas demander à utiliser des technologies toujours plus sophistiquées, à la frontière du médical, sans être parfaitement formées ! Être qualifiées nous rend crédibles – vis à vis des pouvoirs publics et de nos clientes. D’autre part, une certification sur les nouvelles technologies règlementerait le marché. Certaines prestations seraient de fait réservées aux esthéticiennes car le CAP esthétique serait un prérequis pour se former.

Imposer un diplôme d’état pour accéder à certaines formations esthétiques serait une manière de réguler les pratiques ?

Absolument ! Nous constatons qu’il règne beaucoup de confusion sur le marché de la formation esthétique. Certains organismes et distributeurs de matériel surfent sur l’ambiguïté actuelle. Par exemple, faire une formation ne donne pas automatiquement le droit d’exercer. Vous pouvez vous former au Browlift sans CAP esthétique. Mais comment pratiquerez-vous l’épilation des sourcils préalable, qui est un acte réservé aux esthéticiennes diplômées d’état ? De même, je rappelle que le modelage « à visée esthétique » et les « soins esthétiques à la personne » sont des activités réglementées, et ne concernent pas uniquement les manœuvres manuelles, mais tout autant l’usage d’appareils minceur ou anti âge. La loi du 5 juillet 1996 est très claire à ce sujet ! On imagine ce qui peut se passer en cas de problème : quelle assurance prendra en charge un dommage lié à une prestation illégale ? Là encore, c’est le consommateur qui sera lésé. C’est par une meilleure information du public et un cadre juridique plus strict, notamment en matière de formation, qu’on assainira les pratiques.

Effectivement, les esthéticiennes s’estiment de plus en plus concurrencées par des personnes non diplômées qui empiètent sur leur domaine de compétences : pigmentation, rehaussement et extensions de cils, ongles, massages bien être etc. Que répondez-vous à celle qui disent que le CAP esthétique ne sert plus à rien ?

Nous sommes toutes responsables de changer les choses ! Il appartient sans doute aux esthéticiennes de mieux communiquer sur leur qualification. A un niveau individuel, en informant la clientèle. Par exemple, pourquoi ne pas afficher nos diplômes dans nos instituts ? Et à un niveau collectif, en soutenant la CNAIB SPA. Ne soyons pas naïves : nous sommes face à des lobbies très puissants ! Si nous voulons « peser » auprès des autorités pour faire évoluer le cadre en notre faveur, il nous faut un maximum d’adhésions, mais aussi des moyens financiers pour lancer des actions de communication. Nous arrivons à un tournant crucial, où le chacun pour soi est dépassé. En tant que co présidente de la CNAIB, j’appelle donc la profession à se fédérer davantage pour défendre ses intérêts !

 

 

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