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Importé des Etats Unis il y a quarante ans, la prothésie ongulaire reste un métier jeune. Officiellement ouverte aux personnes sans CAP esthétique depuis 2016, cette activité ne possède toujours pas de code APE spécifique ni de diplôme d’état. Difficile, donc, de savoir avec précision combien de prothésistes ongulaires exercent dans notre pays. Si la profession attire toujours de nombreux candidats à l’installation, elle fait également l’objet d’un fort turn-over. Quelles en sont les raisons ? A quels les défis sont confrontés ceux qui entreprennent dans les ongles ? Formation, cadre réglementaire, marché : retour sur quatre décennies qui ont marqué l’histoire de la filière.

80′ : naissance du métier de prothésiste ongulaire

Avant de devenir un métier à part entière, le façonnage des ongles s’est d’abord développé dans les instituts de beauté.

Quand en 1983, deux français partis en vacances au Canada ont l’idée d’importer le concept américain d’un point de vente uniquement consacré à l’ongle, l’idée semble assez folle. Si le mot « onglerie » – nom donné à leur premier magasin, est depuis passé dans le langage courant, il fait toujours l’objet d’une marque déposée. A l’époque, aucun banquier ne suit les deux pionniers. Peu importe : ils s’entêtent et créent le premier réseau de franchise dans les ongles, qui compte aujourd’hui plus de cent magasins. Le mouvement est lancé. Les premiers nail bars indépendants s’installent dans les centre villes, au grand dam des instituts de beauté. En effet, la plupart des ces nouvelles techniciennes des ongles s’installent sans CAP esthétique.

Le cadre juridique se met en place

Alors que le marché croit dans les années 90, une bataille juridique s’enclenche donc entre les esthéticiennes et les professionnelles auto proclamées sans diplômes.

L’esthétique est une activité artisanale réglementée. Elle est encadrée par la législation du 5 juillet 1996 (consultable ici), qui impose un niveau de qualification équivalent au CAP pour exercer en tant qu’indépendant. Par exception, toutefois, le façonnage des ongles va être retirée du champ d’application de cette loi en 2016, au terme d’un débat public assez vif qui arrive jusqu’au Sénat.

A cette époque, certaines Chambres de Métiers refusent d’immatriculer les prothésistes ongulaires sans diplôme d’esthétique. Par ailleurs, les contrôles des services de la Répression des Fraudes se multiplient. Face aux menaces de sanctions, le gouvernement est interpelé en 2014.

Après deux ans de flottement, l’argument économique a finalement gain de cause.

Comment fermer les milliers de bars à ongles qui existent désormais sur le territoire national ? Mises devant le fait accompli, les autorités finissent par céder. En 2016, le secrétaire d’état en charge des métiers de l’artisanat auprès du Ministère de l’économie précise donc officiellement que « la pose de faux ongles avec gel ou capsules, le façonnage en résine et les décorations uniques, les comblages, les déposes, les décorations d’ongles et la pose de vernis classiques ou semi-permanents, ne doivent pas être considérés comme des soins esthétiques lorsqu’ils ne sont pas assortis de prestation de manucure. » C’en est fini de l’obligation légale d’avoir un CAP esthétique pour entreprendre dans les ongles.

Le métier évolue

Au tournant des années 2010, la technique évolue. D’une part, avec l’arrivée du vernis semi permanent en 2011, qui consacre les prestations courtes. D’autre part, avec le développement du nail art et une diversification sans précédent des méthodes de construction qui autorise toutes les formes.

Tandis que le métier se diversifie, la manucure devient aussi un phénomène de société : la demande explose. Le temps de la french manucure uniforme est révolu. Désormais, les femmes collectionnent les vernis et assortissent leurs manucures à leurs tenues. Comme la mode, l’industrie des ongles connait bientôt des tendances saisonnières (couleurs, formes, décoration) et devient de plus en plus créative. Les perspectives d’activité attirent un nombre toujours croissant d’entrepreneurs dans les ongles.

Qui sont ces professionnels ?

La filière dispose toujours d’un vivier naturel de recrutement parmi les esthéticiennes. A la faveur de leur apprentissage, certaines choisissent de se spécialiser dans les ongles en effectuant une formation technique courte auprès d’une marque, ou (plus rarement), en passant le CQP styliste ongulaire, titre reconnu par l’état sanctionné par un examen national. Cependant, la voie d’accès sans CAP esthétique connait un succès grandissant.

Majoritairement féminine, la profession séduit par exemple de nombreux adultes en reconversion. En quête d’un changement de vie professionnelle, ces personnes arrivent souvent dans le métier après un accident de vie, comme un divorce ou la perte d’un emploi. « La formation est courte, l’investissement pour démarrer reste modeste – comparativement à d’autres activités -, et le métier fait toujours rêver, commente Virginie Bour, Nail artiste, formatrice et créatrice de la marque Magicart.

Trop ?

2020′ : la maturité

En une décennie, le marché de l’ongle est devenu très concurrentiel, et se faire une place au soleil, beaucoup moins facile.

Combien existe-il de stylistes ongulaires à leur compte en France ?

Personne ne peut répondre avec certitude à cette question, puisqu’il n’existe toujours pas de nomenclature liée spécifiquement à cette activité. Par défaut, les stylistes ongulaires se voient souvent attribuer le code 9602B, à l’origine réservée aux esthéticiennes. D’autres se sont immatriculées avec le code 9604Z ou même 9609Z.

Aussitôt formées, beaucoup de prothésistes ongulaires se lancent sans aucune expérience dans la gestion d’entreprise ou la communication. Avec un niveau technique débutant, elles peinent parfois à trouver leur clientèle, bradent les prestations, et finissent par abandonner après quelques mois ou quelques années, faute d’avoir développé une activité suffisamment rémunératrice.

La profession serait-elle devenue un miroir aux alouettes ?

Créé en 2008, le statut d’auto entrepreneur a indéniablement créé un appel d’air. Avec le développement d’internet, par ailleurs, de nombreuses débutantes ont cru qu’il suffisait de créer un compte sur Facebook ou Instagram pour réussir – avec, parfois, des désillusions à la clé.

Pour autant, certaines prothésistes ongulaires réussissent aussi très bien.

« En quelques années, le niveau est monté », explique Delphine Derhé Spoor. Directrice de la prestigieuse compétition d’ongles INJA FRANCE, elle constate l’arrivée sur le marché d’une nouvelle génération de stylistes ongulaires passionnées et hyper investies, qui professionnalisent le métier, et s’en sortent très bien. « Elles démarrent plus jeunes, sont ambitieuses, n’hésitent pas à enchainer les formations pour maitriser la technique à la perfection et connaissent parfaitement les codes de communication sur les réseaux sociaux. » résume la formatrice.

Pour ces professionnelles d’excellence, autant à l’aise dans le stylisme ongulaire que sur internet, la filière offre de nouveaux débouchés. Ainsi, certaines techniciennes deviennent ambassadrices d’un label, formatrice ou lancent même leur propre marque de produits, bousculant le marché.

Pour Delphine Derhé Spoor, il existe désormais trois profils professionnels au sein de la filière :

  • La manucuriste, généralement en institut de beauté, qui travaille surtout en vernis semi-permanent mais façonne aussi des extensions en gel (surtout) sur capsule
  • La technicienne, qui maitrise les différentes méthodes de construction, les extensions aux chablons, parfois les longueurs extrêmes, et les formes difficiles comme la stiletto
  • La nail artiste, qui se spécialise dans la décoration exécutée à la main et se différencie par sa créativité

Signe d’un marché qui aborde une phase de maturité, le secteur des ongles commence donc à se segmenter. Il est également confronté à de nouveaux challenges.

Les défis à relever

Aujourd’hui, trois défis attendent les créateurs d’entreprise dans les ongles.

1. Trouver un modèle économique rentable.

Depuis dix ans, la profession déplore un nivellement des prix par le bas. Si l’accroissement du nombre de bars à ongles a bien exercé une pression sur les tarifs, ce tassement est également attribué à l’émergence d’une forte activité à domicile, plus ou moins déclarée, qui ferait concurrence aux professionnelles installées. Sur internet, on peut effectivement trouver des propositions de prestations à 30/35 euros. Pour les nails bars, qui doivent payer loyers, TVA et charges sociales, impossible de s’aligner…

Pourtant, le travail au noir n’est pas seul en cause.

 » Aujourd’hui, trop de filles se lancent sans connaitre leurs prix de revient ni leur marge, » pointe Virginie Bour. Prothésiste ongulaire avant de devenir formatrice, elle a mis un point d’honneur à calculer le coût matière exact d’une pose ou d’un remplissage réalisé avec les produits de sa propre marque, lancée en 2020. Une exception dans une industrie où règne une certaine opacité sur le sujet…

Cependant, pour définir des prix économiquement viable, connaitre le coût de la matière première ne suffit pas.

Dans les métiers de l’ongle, le principal poste de charge est la main d’œuvre, car les prestations sont longues – de une heure à une heure et demi selon les cas. Privilégier des produits faciles à travailler, avec peu de limage et moins d’étapes, doit donc s’inscrire dans la réflexion de toute prothésiste ongulaire qui veut développer une activité rentable.

Maîtriser son temps de travail demande également une certaine dextérité, ce qui suppose un travail quotidien. Dans un institut de beauté où la demande s’oriente davantage vers la pose de vernis semi permanent, s’entêter à faire deux poses d’extensions en gel par semaine, qui vont prendre chacune deux heures, signifie travailler deux jours par mois à perte. Ne vaut-il pas mieux refuser cette clientèle pour se concentrer sur des prestations rentables ?

2. Gérer (plus) efficacement l’activité

Depuis la suppression du stage à l’installation en 2019, une simple formation technique de quelques jours suffit pour s’immatriculer. Est-on pour autant assez armé pour piloter sa propre affaire ? A constater le nombre de cessation d’activité à cinq ans, on peut en douter.

En fait, entreprendre dans les ongles demande des qualités variées – et plus en plus pointues.

L’école Silvya Terrade, qui propose le CQP « styliste ongulaire », insiste par exemple sur la nécessité de développer des compétences de chef d’entreprise : gestion du point de vente, communication, accueil et conseil de la clientèle. Autant d’aspects souvent ignorés dans les formations de marques, qui se concentrent sur les facettes purement techniques du métier.

3. Adopter un concept marketing solide

Sur un marché devenu très concurrentiel, « Faire des ongles » ne suffit plus à constituer un projet d’entreprise viable. Comme les instituts de beauté, les bars à ongles doivent donc aujourd’hui apprendre à se différencier, trouver leur identité propre, développer leur image d’entreprise et cibler un créneau de clientèle.

En résumé, il vaut mieux se lancer avec un concept marketing solide.

Dans les grandes villes, certains nail bars développent des offres adaptées aux femmes actives, avec des manucures express ou sans rendez-vous, un cadre modern et design, et certains services complémentaires comme la pause déjeuner sur place ou l’after work.

En réaction aux prestations low cost, d’autres mettent en avant la qualité des prestations, l’utilisation de produits plus haut de gamme, ou plus respectueux de l’environnement et de la santé, voire le « made in Europe ». Enfin, certains centres s’orientent avec succès vers des services additionnels ou complémentaires, et développent une boutique de produits dans leur nail bar afin d’augmenter le panier moyen.

Pour les techniciennes qui ont peu de compétences en gestion ou marketing, entreprendre en franchise peut constituer une alternative intéressante. Signe que le métier est encore jeune, la franchise est encore peu développée : le façonnage des ongles reste majoritairement une activité artisanale, exercée seule, en salon ou à domicile. Mais la situation évolue.

En 2022, dix réseaux spécialisés dans l’ongle se partagent le marché. Ensemble, ils réunissent environ 250 points de vente. Cela peut sembler peu par rapport aux puissantes franchises qui existent dans l’épilation, le soin, le regard et la minceur. Sauf si on prend en compte que toutes ces enseignes sont assez récentes. En pleine croissance, elles sont en passe de mailler tout le territoire.

Avec 115 implantations, le plus ancien réseau créé en France, l’Onglerie, reste le leader du secteur. Le second poids lourd est Le Bar à Ongles by V, qui revendique une cinquantaine de franchisés depuis son lancement en 2012. Le troisième est Colorforever, créé par le distributeur de la marque OPI en France, qui totalise environ 30 magasins depuis 2007. Dernier né en 2018, BAB le Bar à Beauté compte déjà 16 points de vente en dépit de la parenthèse covid. C’est aussi l’unique concept qui repose sur une double activité « ongles + cils ».

Forts de leur identité, chacun de ces réseaux propose une approche structurée et plus rentable du métier. Quoique exigeant des royalties, ils constituent un débouché clé en mains pour les professionnelles qui souhaitent entreprendre dans les ongles en minimisant les risques.

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