Copie de Sans titre (2)

En mai comme en novembre 2020, les professionnelles de l’esthétique avaient fait leur rentrée avec des carnets de rendez-vous bien remplis après deux mois d’arrêt. Mais après quelques semaines, le retour d’expérience s’est avéré inégal après chaque réouverture. Si certaines esthéticiennes continuaient d’afficher complet, d’autres peinaient à trouver un second souffle. Comment analyser ces signes de ralentissement ? Faut-il s’attendre à une reprise en dents de scie au printemps 2021 ? Quels sont les défis à relever pour réussir la réouverture ?

Une reprise encourageante après chaque fermeture

L’afflux de rendez-vous dans les instituts à chaque réouverture est encourageant à plusieurs titres. D’une part, il montre que le confinement n’a pas rompu le lien de fidélité des clientes avec leurs esthéticiennes et que les consommatrices, condamnées au soin à la maison pendant deux mois, sont bien revenues. D’autre part, ce retour de la clientèle dans les instituts s’est fait plutôt vite, en regard de la fréquentation timide qu’ont connu la plupart des autres commerces au redémarrage.

Lors du premier déconfinement, l’activité générale était en baisse de plus de 50 % en première semaine dans le commerce (à l’exception des coiffeurs), la plupart des consommateurs continuant de privilégier les achats de première nécessité au détriment du shopping. Trois semaines après la réouverture, la fréquentation en boutique restait en moyenne 30 % inférieure à son niveau de 2019 à la même époque, malgré une météo invitant à sortir. Une relance poussive que n’ont pas connue les instituts, où les prestations ont tourné à plein régime dès le premier jour. En dépit des lourdes contraintes sanitaires et de la fatigue, les esthéticiennes avaient donc le sourire.

Un effet pschitt ?

Cependant, quinze jours après le 11 mai 2020, certaines professionnelles commençaient déjà à partager leurs inquiétudes sur les réseaux sociaux, dénonçant un tassement des rendez-vous à l’approche du mois de juin. Le traditionnel effet « fin de mois » a-t-il joué à la baisse sur la demande, reportant les dépenses superflues après le versement des salaires ? Pas sûr, quand on sait que les ménages ont accumulé près de 60 milliards d’économies durant le premier confinement.

Il semble en revanche plus probable que la profession ait subi un effet de « décompensation ». En effet, la plupart des esthéticiennes ont élargi leurs plages horaires afin de satisfaire un maximum de clientes à la réouverture. La demande étant là, de nombreux instituts ont réalisé, en quinze jours, un chiffre d’affaires correspondant habituellement à trois semaines d’activité. Mais l’élan n’a pas duré car depuis la reprise, les esthéticiennes travaillent essentiellement avec leur clientèle habituelle, qui n’est pas extensible à l’infini.

Ainsi, on a pu observer des situations très contrastées : si certains instituts continuaient à être débordées quelques semaines après la reprise, d’autres, qui n’avaient qu’un petit fichier clients, peinaient à remplir leurs agendas… Un effet qui risque de se reproduire en 2021. Dans cette situation, les plus pénalisées se comptent sans surprise parmi les professionnelles récemment installées, qui n’ont pas constitué un fond de clientèle suffisant. Plutôt que de parler d’effet « pschitt » de la reprise, on pourrait en conclure que l’après crise sanitaire accentue les écarts entre les instituts, agissant comme un révélateur de forces et de faiblesses.

Toutes les clientes ne reviennent pas

Les jours passant, certaines esthéticiennes ont constaté qu’une partie de la clientèle n’est pas revenue après chaque fermeture administrative et que l’activité ne redécollait pas à hauteur de leurs espérances. Certes, la vie habituelle n’a pas repris partout de la même façon – surtout dans les grandes métropoles. Si la plupart des secteurs économiques ne sont plus à l’arrêt, plusieurs millions d’actifs restent encore en télétravail ou au chômage partiel. De plus, les couvre feux ont changé le rythme de vie des Français, dont la journée se trouve écourtée, notamment s’ils sont parents. En résumé, de nombreuses clientes ne sont pas revenues à l’institut parce qu’elles vivent encore essentiellement à la maison !

Moins d’occasions de se faire belle

Un an après le début de la crise sanitaire, le secteur des loisirs reste soumis à de nombreuses restrictions : pas de spectacles, de cinéma, d’évènementiel, de fêtes, de réceptions, de mariages… Les restaurants et lieux de sortie sont fermés. Les rendez-vous professionnels se sont raréfiés. Autant d’occasions manquées de se faire belles pour vos clientes, et de rendez-vous reportés dans les instituts. En effet, la consommation de prestations beauté est fortement liée aux « occasions » sociales, qu’elles soient d’ordre personnel ou professionnelle : deux pans de nos vies qui sont encore pour quelque temps mis entre parenthèses sous l’effet de la pandémie.

Des situations inégales sur le territoire

S’il est progressif, le retour à la vie sociale ne se fait pas non plus de façon uniforme sur tout le territoire. Ce phénomène peut expliquer aussi pourquoi, à chaque réouverture, certaines professionnelles sont plutôt satisfaites de leur rentrée quand d’autres déchantent rapidement : selon l’âge moyen, la catégorie socio professionnelle, et le lieu d’habitation de leurs clientes, le retour à une activité « normale » s’opère plus ou moins bien.

Ainsi, les esthéticiennes qui travaillent avec une clientèle fidèle dans des villes moyennes s’en sortent plutôt mieux, globalement, que des instituts situés dans des quartiers d’affaires encore vides ou des zones commerçantes au cœur des grandes métropoles, qui vivent principalement avec les sorties de bureaux et le lèche-vitrine de passage… De même, certains centres esthétiques fréquentés par une clientèle vieillissante souffrent davantage d’une reprise molle : ces clientes seniors, qui consomment du bien-être et du soin avec un fort pouvoir d’achat, n’ont tout simplement pas ou peu « déconfiné », étant classées dans la catégorie à risques face au Covid !

Des prestations limitées

La vigueur de l’activité à la réouverture des instituts ne doit pas masquer une autre réalité plus en demi-teinte. Si les clientes sont retournées chez l’esthéticienne à chaque réouverture, la demande s’est concentrée uniquement sur quelques prestations, comme l’ont révélé les plateformes de réservation en ligne : remplissages, manucures en vernis semi permanent, esthétique du regard et surtout… des épilations, des épilations, des épilations ! Après chaque interruption de plusieurs semaines, les services « d’entretien » figuraient sans surprise dans les top priorités des consommatrices (Qui n’a pas vu sur les réseaux sociaux, durant le confinement, un tutoriel montrant comment limer ses faux ongles sans les arracher ou des conseils humoristiques pour patienter avec ses poils ?). Pour les épilations, il faut souligner en outre que la date de réouverture des instituts coïncidait avec le pic de demande saisonnier lié chaque année au retour du beau temps : un effet qu’on peut s’attendre à revivre en 2021.

Cet appel d’air, hélas, risque d’être passager si les professionnelles ne diversifient pas très vite leurs activités. En effet, les prestations esthétiques qui ont soutenu la reprise ne représentent habituellement que 50 à 65 % des recettes globales selon les points de vente. Passé l’effet euphorisant de la réouverture, il y a fort à parier qu’elles ne suffiront pas à créer une demande suffisante pour soutenir un niveau d’activité viable, obligeant les instituts à rechercher un second souffle.

Les soins spa toujours à l’arrêt

Interdits par décret depuis plusieurs mois, les espaces bien-être en libre-service (hammam, bains, saunas…) sont encore à l’arrêt sans perspective de reprise, pénalisant la fréquentation des spas. Une interdiction qui pourrait restreindre la vente de bons cadeaux, qui représente pourtant 10 à 25 % du chiffre d’affaires selon les établissements. En 2020, la Fête des Mères est ainsi passée presque inaperçue dans les instituts : en sera -t-il de même en 2021 ? Pour les instituts dont la carte de soins est très dépendante des prestations de bien être, il est urgent de travailler sur une offre compatible avec les interdictions qui persisteront peut être encore plusieurs semaines, sous peine de vivre un redémarrage difficile.

La vente oubliée ?

L’autre victime de la crise sanitaire est la vente. Certes, la première réouverture des instituts s’est déroulée dans un climat extrêmement stressant pour les gérantes et salariées de l’esthétique, avec des protocoles d’hygiène strictes et chronophages à appliquer, et des rendez-vous à enchaîner très ponctuellement pour éviter que les clientes ne se croisent. Dans ce contexte, il était bien compréhensible que la plupart des professionnelles concentrent toute leur attention sur l’hygiène et la sécurité. L’espace d’attente, qui permettait autrefois de découvrir les nouveautés et promotions, a été temporairement condamné, changeant totalement le parcours client au détriment de la vente.

Désormais, les clientes sont invitées à entrer directement en cabine et à payer en ligne ou sans contact – ce qui laisse peu de place à l’échange commercial, d’autant plus que les produits qu’on ne doit plus toucher ont été rangés hors de portée, tout comme les testeurs en libre-service. Or la vente de produits représente 10 à 15 % des rentrées dans un institut : à l’heure où il faut reconstituer d’urgence la trésorerie, ce manque à gagner invite à réfléchir… Même si le renouvellement de certains produits de soins par les clientes a pu sauver partiellement les chiffres à la réouverture, la réalité est que l’achat conseil et l’achat d’impulsion doivent d’urgence reprendre, sous peine de priver les instituts d’une source de revenu indispensable.

De nouvelles concurrences  

Redonner toute sa place à la vente est plus urgent qu’on ne croit, et pas uniquement pour renflouer la trésorerie. La pandémie a totalement changé les habitudes de consommation. Durant le confinement, les consommatrices beauté ont dû se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement. Les ventes en ligne ont explosé, créant un effet d’aubaine pour certains circuits concurrents de l’institut de beauté. A mesure que les clientes reviennent peu à peu en boutique, ces réseaux au marketing digital très puissant (grande distribution, parfumerie sélective, pharmacies), dont la plupart ont également souffert des fermetures administratives (à l’exception de la pharmacie), vont tenter à tout prix de conserver cette nouvelle clientèle…

Ces nouvelles concurrences constituent un véritable challenge pour les professionnelles de l’esthétique, qui doivent reconsolider la fidélité de la clientèle envers les produits vendus à l’institut. Faute d’y consacrer un peu de temps et d’efforts, les esthéticiennes risquent en effet de constater avec dépit, après quelques semaines ou quelques mois, que leurs clientes auront définitivement pris ailleurs de nouvelles habitudes de consommation, que ce soit pour le maquillage ou les cosmétiques.

Retrouver un second souffle

Pour que l’embellie de la réouverture ne se transforme pas en feu de paille, le défi des semaines à venir se jouera sur deux fronts. D’une part, les instituts doivent d’urgence faire revenir les clientes pour consommer des soins visage et corps à plus forte valeur ajoutée, et cesser de concentrer toute leur activité sur des services d’appel « utilitaires » comme l’épilation ou la manucure, qui ne peuvent suffire ni à assurer un niveau de rentabilité satisfaisant pour l’institut, ni à remplir le carnet de rendez-vous dans la durée.

En outre, ce retour du soin est aussi la condition sine qua non pour réenclencher la vente de cosmétiques. Or, le second souffle de la reprise se jouera aussi sur le front de la vente. Déjà nécessaire à la bonne santé de l’institut en temps « normal », la vente va devenir un poste indispensable du chiffre d’affaires à l’heure où la profitabilité des instituts est fortement impactée à la baisse par le coût des équipements de protection et les procédures de nettoyage entre chaque cliente.

Un défi attend donc la profession, pour lequel il n’y aura pas de « fiches conseils ». Pour réussir la saison 2021, les esthéticiennes devront trouver des méthodes de travail nouvelles (refaire une place à la vente, réinvestir la communication), mais aussi réintroduire des notions comme la détente ou le plaisir qui ont eu momentanément tendance à disparaître au profit d’une vision très hygiéniste de l’institut. Si la lutte contre la propagation du virus doit rester dans toutes les têtes – surtout dans un secteur d’activité où la distanciation sociale n’existe pas par nature – il ne faut pas oublier que ce que viennent chercher les clientes dans un institut, c’est avant tout un moment de bien-être. D’autant plus dans un contexte où – toutes les études le montrent – la crise sanitaire a sensiblement augmenté le niveau de stress dans la population…

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter estheticienne.pro

L'information professionnelle décryptée chaque semaine.